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Violences urbaines

vendredi 5 mai 2006, par Christophe

Dans le climat actuel d’envahissement sécuritaire, de sarkosite et de villepinite aiguës il faut remettre les choses à leur vraies places, dire que les violences sont nombreuses et qu’elles se nourrissent les unes des autres, dire qu’il faut les affronter, mais surtout dire qu’il faut les nommer et les hiérarchiser, éclairer les rapports qu’il peut y avoir entre les unes et les autres, dénoncer les manipulations de certains qui en ont fait leur fonds de commerce. Dire surtout qui en en sont les premières victimes. Il faut parler de ces violences dont sont victimes des pans entiers de la population, ces violences que l’on peut appeler institutionnelles et dont la « violence », celle à laquelle tout le monde pense, celle qui semble agir au hasard dans la rue, « la violence urbaine », la délinquance, n’est jamais que le prix à payer. Car il faut bien le dire, cette fameuse violence urbaine, est non seulement marginale, mais elle est qu’un fait social comme les autres, elle est un épiphénomène des violences institutionnalisées.

La première de ces violences institutionnelles c’est bien entendu la misère, pas la pauvreté, mais la misère, celle avec laquelle Hugo avait déjà fait rire ses pairs en proclamant qu’elle était une « chose sans nom », celle qui fait que plus un instant de votre vie ne vous appartient, que rien ne vous est acquis mais toujours octroyé.

C’est aussi la violence de tous ceux qui parce qu’ils ont un jour décidé que l’on ne construirait plus de logements sociaux, que le droit au logement n’était pas un droit pour tous, en en condamné des centaines de milliers d’autres à des habitats insalubres, à des hébergements de fortune, les ont livrés à la violence des « marchands de sommeil », au squat, quand ce n’est pas purement et simplement à la rue.

C’est la violence de l’école, celle des élèves dont on parle beaucoup, mais surtout celle dont on parle moins, celle d’un système scolaire qui pour un grand nombre d’élèves, d’orientation en réorientation n’est qu’un chemin pavé d’échecs et d’humiliations.

C’est la violence ceux qui parce qu’ils ont un jour décidé d’investir dans des placements boursiers, d’augmenter leur profit en réduisant la part du travail, ont « privatisé », « délocalisé », « modernisé », « dégraissé ».

C’est la violence de ceux qui au fil des eaux glacées du calcul égoïste ont « globalisé », « mondialisé », mais refusent de voir chez nous les résultats autres que financiers de leur réussite.

C’est la violence que subissent quotidiennement ces gens venus des quatre coins du Sud et de l’Est, souvent au péril de leur vie. Ne nous leurrons pas le Tiers-monde est aussi chez nous. Il est chez nous au fond des cours, dans les ateliers où l’on travail au noir 12 heures par jour, il est chez nous sur les chantiers, il est chez nous sur les quais, il est chez nous dans les squats, il est chez nous sur les trottoirs. Les files d’attente pour dès 9 heures le soir pour le lendemain matin aux portes des centres d’accueil des préfectures donnent la mesure de cette violence.

C’est la violence de la suspicion permanente que subissent ceux qui doivent pouvoir prouver à chaque instant leur identité, leur droit à être là où ils sont, leurs droits à telle ou telle aide, qu’ils ne sont pas des fraudeurs, des profiteurs.

C’est la violence que subissent tous ceux qui sont discriminés, ségrégués pour leurs origines, leur couleur de peau, leur religion, leurs orientations sexuelles, leurs choix alimentaires ou vestimentaires.

On peut les égrainer encore longtemps tant elles sont multiples, leurs mécanismes sont parfois complexes et qu’elles avancent souvent masquées.

Il faut bien le reconnaître, il est facile d’emprunter les voies de la démagogie et du consensus et de ne retenir des violences que celles que tous le monde a à l’esprit, celles sur la vague desquelles surfent le monde politique, ces fameuses violences urbaines. Il est vrai que c’est celle à laquelle nous sommes le plus communément confrontés, ou plutôt c’est celle que nous reconnaissons spontanément comme telle. Et pour cause ! Qui d’entre nous n’a jamais été témoin, n’a pas un proche, ou n’a pas été lui-même victime d’un de ces actes qui échappent à notre entendement ? Un de ces actes appartenant à cette violence que nous ne qualifions de stupide ou de gratuite que parce que l’émotion nous empêche de la voir comme l’émergence des ces violences institutionnelles. Il faut aussi admettre qu’à la différence des violences institutionnelles les violences urbaines nous mettent directement face à leurs auteurs. Nous pouvons identifier les responsables, les désigner, les dénoncer. Nous ne sommes que victimes, innocentes et désarmées face à ce que nous ne pouvons ressentir que comme une injustice. Surtout nous n’en sommes pas responsables. Au contraire nous avons même été de gauche, nous avons soutenus SOS Racisme, et si aujourd’hui nous ne sommes pas opposés à des quotas c’est parce que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde et Saint-Denis toute celle de l’Ile de France et puis c’est une façon de couper l’herbe sous les pieds de Le Pen. Et d’ailleurs il faut bien se rendre à l’évidence, comment sinon éviter la ghettoïsation et le communautarisme qui nous menace ?

Ce n’est pas que nous soyons non plus entièrement responsables des violences institutionnelles, mais là notre innocence est moins confortable car elles mettent en cause directement la cohérence et la dimension éthique de nos engagements sociaux et politiques. Car admettre que la violence urbaine et la violence institutionnelle sont liées, que l’une se nourrit de l’autre c’est ne plus pouvoir se satisfaire de notre bonne conscience, c’est se demander pourquoi nous donnons si facilement notre signature voire notre obole pour les Tchétchènes, mais ne voulons pas voir les Roms camper sous nos fenêtres, pourquoi nous sommes si solidaires d’un plombier polonais et bien moins d’une ouvrière chinoise, pourquoi nous avons dénoncé avec tant de conviction l’apartheid et sommes prêt à refouler au plus loin tous ses jeunes qui « ghettoïsent notre centre-ville », pourquoi il nous semblent plus facile de faire la guerre aux pauvres que de combattre les causes de la misère, pourquoi nous craignons plus les plus démunis que nous que ceux qui nous oppriment. C’est aussi se demander quel était le sens de notre vote ou de notre abstention un certain 21 avril et encore plus prêt un certain 29 mai..

Il faut aussi parler des « violences urbaines » et en premier lieu noter qu’elles ont quelques constantes et quelques caractéristiques. Parmi les constantes les plus remarquables sont : 1- Qu’elles sont toujours nouvelles 2- Qu’elles sont toujours croissantes 3- Qu’elles sont toujours le fait d’individus de plus en plus jeunes Ces violences et leurs constantes accompagnent la ville pratiquement depuis ses origines et elles sont à ce point universelles que l’on peut se demander si elles ne sont pas une composante du fait urbain lui-même. La ville est par excellence le lieu de la confrontation, des classes sociales, des classes d’âges, des cultures. Des nantis aux plus démunis, tous se retrouvent en ville, s’y retrouvent aussi toutes les activités dont certaines sont les bienvenues, d’autres moins, mais le bonneteau est-il moins urbain que le bar tabac et pour une part n’obéit-il pas aux mêmes lois. L’espace urbain est un espace partagé dont chacun convoite sa part, ce partage ne se fait pas sans conflits et pour une part les violences urbaines sont une des modalités de ces conflits. Le stade ultime de ce partage c’est à une extrémité les « gated communities » et à l’autre le « ghetto » mais entre les deux tous les degrés existent. A de rares époques, dans de rares lieux, quand dans l’euphorie chacun à le sentiment de recueillir une part de la redistribution ce partage se fait sans trop de heurt, mais cela reste l’exception. Le partage des espaces urbains aujourd’hui est tout aussi concurrentiel que le partage des richesses, mais n’est-ce pas aussi une richesse ? Cette part que l’autre a c’est autant de moins que je n’aurais pas et chacun de défendre sa part. Dès lors sont mises en place toutes sortes des stratégies dont le but ultime est de désigner ceux que l’on souhaite exclure de ce partage. Cela va de la suppression des bancs dans les espaces publics à la « résidentialisation ». Ironie des choses, ceux que l’on veut rejeter de l’espace public, parce qu’ils « l’envahiraient » sont souvent ceux à qui l’espace privé manque.

Caractéristique remarquable des « violences urbaines » : elles sont mouvantes. Non seulement parce qu’elles se déplacent sans cessent mais aussi parce qu’elles se dérobent à toutes définitions. Ce sont moins les faits eux-mêmes qui importent que leur qualification par les victimes, par les témoins, par les autorités. Le même acte, selon la nature des protagonistes pourra être un simple incident ou devenir un acte de violence inqualifiable. Les « violences urbaines » sont de fait à géométrie variable car susceptibles d’englober aussi bien la simple présence en un lieu de groupes dont on suppose qu’ils pourraient se livrer à des actes de violences et des faits qui relèvent de la délinquance, voir du crime. Il est alors difficile de distinguer si cette croissance effrénée des « violence urbaine » est le résultat d’une augmentation des faits, de l’extension de ce qui est qualifié comme tel, ou même de l’amplification de la dénonciation du même évènement. La plainte répétitive à le même effet statistique que la répétition de ce qui en fait l’objet.

Les violences urbaines sont le fait de jeunes, de plus en plus violents et de plus en plus jeunes. On pourrait dès lors penser que le meilleur indicateur de ce fait est le nombre d’homicides commis par des mineurs qui devrait croître vers des sommets insoupçonnés. Il n’en est rien ce chiffre est d’une remarquable stabilité, en moyenne 31 homicides par an depuis 1994, et il en va de même des homicides en général qui bon an mal plafonnent autours de 600 cas par an. En revanche un chiffre croit notablement celui des mineurs victimes d’homicides qui passent de 7 à 60 entre 1996 et 1999. Rien donc ne prouve que les jeunes soient plus violents, en revanche ils sont certainement plus « tuables » ce qui est bien plus inquiétant.

La violence urbaine, celle qui rend notre vie à tous intolérable, qui fait que tout un chacun vit dans la peur, à pour lieu l’espace public, la rue, la place. Les victimes sont les plus faibles et au premier chef les femmes. Toujours pour en rester aux homicides elles furent 652 à en être victimes entre 1990 et 1999 à Paris et dans sa proche banlieue, mais pour la moitié d’entre elles, elles furent victimes de leur conjoint ou de leur compagnon. Les chiffres des agressions sexuelles amènent aux mêmes conclusions, tout tend à prouver que pour une femme, l’endroit le plus dangereux, n’est pas la rue, le métro ou un quelconque parking souterrain mais bien le domicile conjugal. Il en va de même pour les enfants, ceux dont ils ont le plus à craindre ce sont les membres de leur propre famille.

L’image de la violence urbaine se nourrit du spectacle de sa répression. Peu importe que cette répression soit efficace ou non ce qui importe c’est qu’elle soit visible. La présence de force de police, la vidéosurveillance, les dispositifs sécuritaires de toute sorte, n’ont pas tant comme effet d’être des solutions à la violence que de prouver son existence. Ni la police ni la justice n’ont à aucun moment été des solutions et ne peuvent l’être, elles ne sont au plus que des réponses. Soyons clairs, entre la répression et la transformation sociale il ne peut y avoir ni troisième voie ni « juste milieu ». Le choix n’est pas entre l’une et l’autre et nous n’avons pas la naïveté de penser que la transformation sociale fera disparaître la délinquance, il n’y a pas de société sans crime, sans « déviances ». Nous pensons simplement que la répression elle-même doit faire partie de la transformation sociale. Cela implique la nécessité de faire de la politique, mais quelle politique ? Pour qui ? Et surtout avec qui ? Le drame est que justement aujourd’hui si la « violence » est au cœur des préoccupations politiques, les voix qui se font le plus entendre sont celles de ceux qui réclament aux politiques des « solutions », des « réponses » qui ont toutes en commun de ne pas être politiques. Ne nous voilons pas la face, toute réponse qui exclura de son champ ceux qui sont les premières victimes des violences sociales et institutionnelles, qui n’aura pas pour objet d’en faire des acteurs de la transformation sociale, ne peut qu’aboutir à des solutions de rejets, de « nettoyage », à faire du Sarkozy, même déguisé des oripeaux d’une gauche bien pensante.

Christophe Gaudier


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