Eloge de la précarité

Si on voulait bien se rendre compte qu’elle se loge dans les moindres recoins de nos gênes, on ferait peut-être un bond -hyper-bond, cyber-bond- dans la compréhension du monde.

Car, après tout, si on réfléchit un tant soit peu (curieuse expression, d’où vient-elle ?) que sommes-nous d’autre que des précaires, depuis la naissance jusqu’à la mort, et bien avant, puisque nous transportons nos ancêtres avec nos tréfonds, et bien après, puisque nous léguons à nos enfants le mortel cadeau de la vie ?

Ceci dit, nous faisons bien partie de la cohorte humaine et plus largement vivante, à côté des intermittents, des chômeurs, des recalculés, des malades, des accidentés, des misérables au bord du bien-être, des futurs suicidés, des arbres honteusement rognés, nous les nantis en sursis, les « bien-portants », et il serait temps d’arrêter de les considérer comme des êtres à part, et de nous couler dans leur masse.

Une osmose devient urgente, à tous les nouveaux de l’activité humaine. Par pusillanimité nous nous éloignons souvent de leur voisinage, de leur attention, de leur amitié, de leurs exigences. Nous devenons des exclus de notre propre condition, alors qu’il nous faudrait nous repaître de leur fragilité, et en tirer une solide étoffe vitale pour une conduite assainie de la marche du monde.